Publié le 8 février 2013 (Mise à jour le 28 février 2024)
La banquise fond, ce n’est plus un secret pour personne. Les ours blancs se noient, le climat se réchauffe, les animaux en voie d’extinction disparaissent et les films à la « 2012 » ou « Le Jour d’après » se multiplient avec des scénarios toujours plus fous les uns que les autres. Si nous sommes à ce point submergés par ces informations et les histoires sur le sujet, c’est parce que l’éthique – et particulièrement l’écologie et l’environnement – ont pris une place importante dans les préoccupations des individus depuis quelques décennies.
Les marques l’ont bien compris, et leurs publicités surfent désormais sur ce caractère environnemental dès qu’elles le peuvent pour attirer le consommateur. Sur ce point, certaines entreprises n’hésitent pas à manipuler leurs cibles avec des campagnes alléchantes mais malheureusement abusives et loin de la réalité… Nous appelons ça le Greenwashing.
Petit décryptage de cette pratique encore bien trop souvent rencontrée dans la communication B to C (Business to Customer), consciemment ou non.
Le Greenwashing, qu’est-ce que c’est ?
Le Greenwashing, traduit en français par « blanchiment écologique » ou « désinformation verte », est une pratique trompeuse et abusive consistant à mettre en avant les caractères écologiques et environnementaux d’un produit ou d’un service sans que ceux-ci ne soient véritablement prouvés. En d’autres termes, il s’agit d’une manipulation « verte » dans l’objectif de pousser les consommateurs à l’achat.
L’éthique a pris une grande place dans la vie de chaque individu. Aujourd’hui le consommateur se renseigne et n’achète plus n’importe quel produit ou service. Les marques peu scrupuleuses cherchent donc à redorer leur image via des messages et des visuels qui lui correspondent en apparence, mais dépourvus d’arguments solides.
Le consommateur avide d’éthique et d’engagements
Les années 1980 – 1990 ont vu naître une réelle prise de conscience concernant l’éthique. Cette remise en question individuelle est devenue collective et de nombreuses associations et organisations de lobbying ont émergé pour défendre les droits sociaux et environnementaux, mais également l’équité économique.
La défense de l’environnement et l’écologie ont notamment pris une grande importance dans les problématiques internationales avec la mise en place de plusieurs grands événements mondiaux, dont entre autres :
- 1972 : la Conférence de Stockholm, premier Sommet de la Terre (autrement appelée Conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain – CNUEH), en Suède. Lors de cet événement, les grandes problématiques environnementales et écologiques ont été considérées pour la première fois comme de réelles préoccupations internationales. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a été créé peu après.
- 1987 : la Commission Brundtland (autrement appelée Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement de l’ONU – CMED). C’est durant cet événement que le terme de « développement durable » est apparu et a été défini comme un « mode de développement répondant aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » – source : Rapport Brundtland.
- 1992 : le Sommet de la Terre à Rio (autrement appelé Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement – CNUED), au Brésil. Reconnu comme un des plus grands rassemblements de Chefs d’Etats (une centaine en plus des 1500 ONG présentes également), cet événement a conduit à la signature de la Déclaration de Rio et la mise en place de l’Agenda 21 (préconisations pour une meilleure gestion des ressources de la planète).
- 1997 : la Conférence de Kyoto (troisième Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques – COP3), au Japon. Lors de ce rassemblement, les premières négociations du Protocole de Kyoto débutent afin d’engager les Etats signataires à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Tous ces grands événements marquent petit à petit l’arrivée du développement durable dans les mœurs de chacun, et la naissance du besoin d’éthique chez le consommateur (notamment l’aspect environnemental).
L’émancipation du consommateur
En parallèle, les années 1990 – 2000 représentent l’émancipation du consommateur grâce à l’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Sa peur des crises financières à répétition l’a en effet poussé à remettre en cause la consommation de masse, mais également la publicité devenue omniprésente et démesurée. Les règles du jeu change de main et le grand public averti impose désormais aux marques des valeurs, de la déontologie, de la transparence et de la proximité.
Face à ces évolutions sociétales, la communication B to C et les acteurs du secteur ont dû redéfinir leurs objectifs ainsi que leurs terrains d’applications, afin de reconquérir les cibles : voilà comment est apparu la communication éthique, mais également les prémices du Greenwashing.
Les signes du Greenwashing
Lorsque l’on regarde attentivement autour de nous, le Greenwashing est partout. Dans la publicité, dans la communication non média (flyers, brochures, etc.) et dans de nombreux messages sur tout type de supports. Si certaines marques l’utilisent consciemment de manière peu scrupuleuse, les apparitions du Greenwashing peuvent tout aussi bien être totalement involontaires, venant d’une bonne intention un peu maladroite par exemple.
Voici les signes pour le reconnaître :
- Utilisation de termes vagues, non-définis clairement ou appartenant à un jargon technique non compréhensible du grand public : vocabulaire scientifique, expressions floues (« éco-responsable » en fait partie étant souvent utilisée abusivement), etc. Aussi, laissons de côté le répertoire anglophone de type « ecofriendly », mots qui sonnent bien mais qui sont définitivement imprécis…
- Création de messages abusifs, faux ou non étayés : mise en avant d’aspects écologiques pour des produits dangereux ou polluant par exemple (que cela concerne les produits en eux-mêmes, leur chaîne de fabrication ou l’entreprise qui les réalise), absence de preuves, imprécisions, mensonges publicitaires, etc.
- Utilisation de visuels suggestifs pour les campagnes de communication : mise en avant de la couleur verte et d’images représentant la Nature (notamment des végétaux) induisant inconsciemment le consommateur vers un caractère écologique qui n’est pas toujours justifié.
- Mise en avant de faux écolabels ou de certifications non objectives : généralement créés entièrement pour le produit, par des entités dépendantes de l’entreprise-mère et/ou du groupe.
La loi sanctionne la pratique du Greenwashing, si on reconnaît le caractère mensonger d’une publicité par exemple.
L’exemple hypothétique d’une marque de cosmétiques
Prenons un exemple pour illustrer ces explications : la gamme « Pure & Natural » d’une grande marque de cosmétiques et sa campagne publicitaire.
Attention : aucune décision de justice n’a à ce jour tranché sur le caractère « greenwashé » ou non de cette communication (aucune plainte n’est d’ailleurs en cours à ma connaissance). Les points soulevés ci-après sont de simples remarques et non des accusations. En effet, le but n’étant pas de porter atteinte à l’honneur et à la réputation de la marque mais bien d’ouvrir le débat. Sans porter un jugement sur la qualité de ses produits (restons dans l’analyse purement publicitaire et communicationnelle), cette campagne semble rassembler bon nombre des signes évoqués plus haut…
1 – « 95 % d’ingrédients d’origine naturelle »
Principal argument de vente, on reprend ce message dans les publicités et sur les packagings des produits de la gamme.
Le message est plutôt flou, vague et non étayé par des preuves. En effet, l’expression « d’origine naturelle » ne signifie pas qu’aucune transformation chimique n’a eu lieu sur les composants. Par définition, elle ne garantit pas non plus la non-utilisation de produits naturels polémiques par exemple. De plus, les quantités de chaque ingrédient ne sont pas connues (informations légalement non obligatoires). Il est donc très difficile de vérifier les proportions des composants d’origine synthétique par rapport à ceux d’origine naturelle. Après étude de la liste des ingrédients, cette crème semblerait au final plus saine que certaines marques concurrentes, mais elle contiendrait tout de même des ingrédients problématiques : dans ce cas, le message publicitaire perdrait de sa cohérence.
Visuellement, le message se dispose sous forme de tampon. La marque ne prétend aucunement à l’utilisation d’un quelconque écolabel. Cependant, elle se sert des caractéristiques visuelles spécifiques aux certifications existantes afin de donner du sérieux et de la crédibilité à son message.
2 – La mention des ingrédients « bio »
L’huile d’argan et l’aloe véra présentes dans le produits sont dites « bio » sans aucune information cependant concernant leur chaîne de fabrication ni aucune preuve (packagings, site Internet, spots TV, etc.). De plus, nous ne connaissons pas non plus leur quantité. Encore une fois, les arguments de vente ne sont pas étayés et il est difficile de prouver ou non leur véracité.
3 – Un décor visuel on ne peut plus naturel
Tous les éléments sont rassemblés pour créer un cadre agréable et proche de la Nature comme le soleil, l’herbe et les feuilles vertes, le ciel bleu (les couleurs sont éclatantes), les gouttes de rosé transparentes, la brise et cette notion de climat tempéré (vêtements des acteurs). Les deux acteurs allongés dans l’herbe et jouant avec des feuilles ont l’air d’être très proches de la nature, nous conviendrons cependant que nous sommes très loin de la scène habituelle « toilette matinale dans la salle de bain », plus conventionnelle pour toute utilisatrice(teur) d’une crème hydratante… Ce décor suggestif est donc assez incohérent avec le produit.
Nous pourrions aller plus en détail encore dans l’analyse mais je fais le choix de ne présenter que les arguments les plus parlants.
Conclusion : de l’Environnement, mais pas seulement
La communication éthique part souvent d’une bonne intention mais elle ne s’improvise pas. Combien de petites entreprises illustrent encore leur onglet Environnement de feuilles d’arbres et prairies avec un nuancier émeraude, parsemé de clichés du type « mettons-nous au vert », « communiquons plus propre » ou « sauvons la planète, c’est dans notre nature »… ? Bien sûr ce genre de pratiques gentillet n’est pas vraiment du Greenwashing. Cependant, des stéréotypes perdurent et cela décrédibilise l’engagement qui perd son sérieux. Communiquer éthique c’est avant tout s’appuyer sur des arguments solides et concrets en respectant des valeurs morales (transparence, pérennité des actions, cohérence, etc.).
Autre constat : l’éthique et la déontologie ne se résument pas aux simples engagements écologiques. En effet, le concept de développement durable se construit sur trois facteurs interdépendants. Ces derniers s’appellent les « 3 P » : Planet People Profits (Environnement, Société et Économie – facteurs clés repris dans la démarche RSE des entreprises). L’erreur souvent commise est d’omettre les caractères sociétaux et économiques, pourtant tout aussi importants que les points environnementaux.
Comme mot de la fin, je ne vous inviterai pas (bien évidemment) à bannir le vert de vos palettes et nuanciers… Arrêtons simplement les clichés et mettons plus de sens et de sincérité dans les démarches engagées !